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Rinny Gremaut | Fission nucléaire familiale

18.07.2025 – Beat Mazenauer
L’écrivaine Rinny Gremaud est née en 1977 dans la ville portuaire de Busan, en Corée du Sud. Elle est arrivée en Suisse avec sa mère lorsqu’elle était enfant. Photo MAD

Le père était ingénieur, la fille est née en 1977 dans une centrale nucléaire, d’«une mère déterminée et orgueilleuse et d’un type qui pourrait bien être un salaud». Spécialiste des génératrices, celui-ci travaillait à la construction de la centrale nucléaire de Kori, en Corée du Sud, où il a rencontré la mère. Mais quelques semaines après la mise en service de la centrale et la naissance de sa fille, il a fui sans demander son reste.

Quarante ans plus tard, la narratrice se lance à la recherche de son géniteur, le «generator». L’absence de celui-ci a agi sur elle comme un «réacteur de l’âme», dont elle se demande s’il n’est «pas trop hasardeux». «Si le système de refroidissement venait à faire défaut», note-t-elle métaphoriquement, «ne risquerait-on pas la fusion du cœur?» Le jeu de piste démarre au pays de Galles, où l’homme a vu le jour, se poursuit en Asie de l’Est et s’achève à Monroe (Michigan), où il a travaillé sur le réacteur Enrico Fermi 2, qui tombait régulièrement en panne en raison de «generators» en piteux état. La narratrice relève l’ironie de la chose avec une douce suffisance.

«Generator», de Rinny Gremaud, est un roman étonnant, réfléchi et critique, qui mêle autobiographie et histoire de la technique. L’écrivaine, née en Corée comme sa narratrice, approche la figure paternelle via les procédures et l’impact de son travail dans le nucléaire, qu’elle décrit avec grande précision technique. Au cours de son périple, elle se heurte sans cesse à une désertification industrielle qui la touche. Le moloch de l’énergie n’épargne ni l’être humain, ni la nature. C’est pourquoi elle lui oppose opiniâtrement une fiction littéraire, par laquelle elle assemble les bribes de la vie de son père. 

L’ouvrage est paru en français en 2023 (milieu). Il a été traduit en allemand (gauche) et paraîtra en anglais en janvier 2026 (droite).

 

«J’aurais pu interroger ma mère», écrit-elle, «mais je préfère tout inventer toute seule», afin que tous les protagonistes conservent «des espaces de retrait, des lieux de fuite et des zones grises». Ainsi, la narratrice évite une pénible omniscience et garde en même temps le contrôle souverain de son histoire, entre imagination et vérité.

Rinny Gremaud raconte cette histoire émaillée d’expériences personnelles tantôt avec une précision sobre, tantôt avec humour et une légère ironie. Çà et là, elle se permet des remarques méchamment caustiques, à travers lesquelles sourd sa vulnérabilité. Ce jeu subtil de sensations donne à la langue de son roman une coloration spéciale, extrêmement belle. À la fin, la narratrice se tient devant la porte d’entrée de son géniteur de 82 ans, et elle lui tourne le dos. Elle en sait assez.

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