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  • Politique

Police vaudoise en crise: la formation en question

19.12.2025 – Stéphane Herzog

Depuis 2016, cinq personnes d’origine africaines sont décédées dans le cadre d’interpellations menées par des policiers vaudois. Des échanges de messages racistes entre fonctionnaires ont aussi choqué. La qualité de la formation est mise en cause. En Suisse romande, l’Académie de police de Savatan est particulièrement critiquée.

Entre 2016 et 2025, cinq personnes sont décédées au cours ou à la suite d’arrestations par des policiers vaudois. Les victimes étaient toutes d’origine africaine, ce qui ajoute le soupçon de racisme à celui d’une violence mal contrôlée. La divulgation cet été de propos racistes et sexistes publiés sur des groupes WhatsApp par des policiers lausannois a encore terni le tableau. Ces messages ont débouché sur la suspension de huit policiers. Selon la RTS, l’un d’eux était présent lors de l’interpellation de Mike Ben Peter, le 28 février 2018 à Lausanne. Soupçonné de trafic de drogue, ce Nigérian avait été maintenu pendant plusieurs minutes en plaquage ventral. Il est décédé. Les six gendarmes impliqués dans cette affaire ont été acquittés mais le jugement est encore en attente devant le Tribunal fédéral. «Cette succession interroge», reconnait Frédéric Maillard, analyste des pratiques policières en Suisse, qui conseille le commandant de la police lausannoise, Olivier Botteron. Quel serait le dénominateur commun? C’est la question.

Une même théorie pour tous

Ces évènements ont impliqué plusieurs polices municipales vaudoises (Lausanne, Morges, Chablais) et la police cantonale. Existe-t-il un problème systémique au sein de ces corps? Pour la police lausannoise, Frédéric Maillard décrit un environnement caractérisé par un territoire d’opération très dense, un fort esprit de corps et une police en vase clos, composée de cadres qui ont parfois été cooptés. Ce formateur estime d’ailleurs que le même type de configuration existe dans des corps de police en Suisse alémanique, avec les mêmes risques.

Les cas de violence policière présumée ont entraîné plusieurs protestations publiques en Romandie. Ici, un rassemblement silencieux pour Roger Nzoy Wilhelm, qui a été tué à la gare de Morges. Photo Keystone

Quid alors de la formation des policiers? Les six écoles régionales suisses de policiers fonctionnent sur un modèle établi par l’Institut suisse de la police (ISP). Depuis 2020, le cursus dure deux ans: une année à l’école et une autre sur le terrain, avec au bout un brevet fédéral. La théorie comprend des chapitres dédiés à l’éthique et aux minorités. «L’ethnicité ne doit jamais être le critère d’intervention unique pour justifier un contrôle», lit-on dans un support de cours. Les examens de police sont uniformisés, mais les cantons décident du recrutement.

À Neuchâtel les candidats passent d’abord les tests de base: examen de français, sport, culture générale et test psychotechnique. Chaque année, environ 25 postulants sont retenus sur un total de 300. Les candidats sont placés dans des situations où il faut gérer l’autorité. Le postulant joue – par exemple – le rôle d’un contrôleur face à un passager qui met ses pieds sur les banquettes. «Si, après avoir demandé deux fois à la personne d’enlever ses pieds, le candidat devient violent, c’est évident que cela ne va pas aller», image Raphaël Jallard, directeur du Centre interrégional de formation de police de Fribourg, Neuchâtel et Jura (CIFPOL).

Nous l’avons toujours dit, Savatan n’est pas adapté pour la formation des policiers

Mike Berker, vice-président du Syndicat de la police judiciaire de Genève

«Il faut entrer en contact avec la personne et ne pas être en opposition», explique cet ancien commissaire. Pour qui le policier «ne doit pas être le problème». Tant à Fribourg qu’à Neuchâtel, le processus de recrutement comprend des entretiens poussés avec un psychologue, indique le directeur. Objectif final du CIFPOL: «Former des policiers citoyens».

Une formation jugée trop militaire

Dans le canton de Vaud les policiers sont issus de l’Académie de police de Savatan (VD), où les aspirants et aspirantes sont formés avec ceux et celles de Genève, le Valais ayant quitté cette institution l’été dernier. Ouvert en 2004 dans une ancienne caserne, ce centre, surnommé le «Rocher» a fait l’objet de nombreuses critiques. Tout comme son directeur, le colonel Alain Bergonzoli, arrivé en 2008. 

«Nous l’avons toujours dit, ce lieu n’est pas adapté pour la formation des policiers. Il y est dispensé une formation militaire, infantilisante, axée sur la parade», dénonce l’inspecteur Mike Berker, vice-président du Syndicat de la police judiciaire à Genève. Selon lui, le style et l’éloignement de cette caserne empêchent le recrutement de profils intéressants pour la police cantonale. «Les aspirants sont jeunes, ils sont formés dans un contexte où tout contact humain représente potentiellement une menace, si bien que, quand ils arrivent à Genève, il faut revoir toute la philosophie de l’instruction», rapporte Mike Berker.

Frédéric Maillard estime que passer une année sur le Rocher convient très bien à certaines personnes, mais rappelle que les policiers genevois étaient opposés à ce déplacement, la police judiciaire disposant auparavant d’une formation spécifique pour les futurs inspecteurs. «Avant, la police genevoise admettait des universitaires, des personnes issues du tertiaire, sans que les performances physiques ne soient nécessairement prédominantes», raconte ce spécialiste. La perspective de levers de drapeau à l’aube sur le Rocher isolé aurait eu pour effet de dissuader ces candidats. 

Le policier ne doit pas être le problème

Raphaël Jallard, directeur du CIFPOL

En 2016, la sociologue genevoise Dominique Felder avait interrogé des commandants de police vaudois et valaisans. «Le mode martial amène à privilégier l’intensité plutôt que le contenu, l’obéissance plutôt que la capacité de discernement, la conformité plutôt que l’autonomie», indique son rapport, cité par la RTS. Le document avait débouché sur une série de réformes.

Savatan fermera ses portes 

Des personnes formées à Savatan ont fait état de propos et de comportements sexistes et racistes de la part d’instructeurs. L’ambiance régnant à Savatan a-t-elle pu imprégner négativement certains policiers incriminés dans les affaires des polices vaudoises? «J’ai pu le voir moi-même avec certains aspirants conditionnés par des entraînements où l’on doit se méfier de l’autre, qui, même s’il demande de l’aide, peut représenter une menace», juge Frédéric Maillard. 

Selon une personne ayant visité Savatan comme intervenante extérieure, ce centre a autorisé l’expression de certaines paroles ou attitudes qui, si elles ne sont pas cadrées au sein des polices, peuvent induire des dérapages. Les polices cantonales, elles, ne semblent pas préoccupées par les méthodes employées sur le Rocher. «Le lien de causalité entre la formation à Savatan et l’affaire des groupes WhatsApp de la police municipale lausannoise est loin d’être établi», a ainsi déclaré le conseiller d’État Vassilis Venizelos au Grand Conseil vaudois. 

Au final, les cantons de Vaud et de Genève rapatrieront la formation de leurs policiers d’ici 2029. Ce ne serait pas la mauvaise réputation de Savatan qui serait à l’origine de ces retours. Mais plutôt des logiques centrifuges et financières, sachant par ailleurs que le bail de Savatan – le fort étant loué par l’armée – arrive de toute manière à sa fin. L’enjeu central serait celui de policiers romands formés dans un même moule alors que, dans chaque canton, les méthodes et la culture diffèrent. 

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