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Pourquoi Guillaume Tell et le serment du Grütli sont importants pour la Suisse

05.08.2022 – SWISSINFO.CH | EVA HIRSCHI

Les mythes ont joué un rôle clé dans la formation de l’identité nationale suisse jusqu’au 20e siècle. Leur influence est encore perceptible aujourd’hui. Un sentier de randonnée, une exposition et un musée invitent à se plonger dans les légendes qui peuplent l’âme de la Suisse.

«Chaque pays a besoin de ses mythes et légendes», explique Monika Schmidig Römer, conférencière au Forum de l’histoire suisse à Schwytz. Elle se trouve sur la «Voie Suisse», l’un des sentiers de randonnée les plus connus du pays.

Du Grütli à Brunnen, en Suisse centrale, ce sentier de 35 kilomètres longe le lac d’Uri, le bras le plus méridional du lac des Quatre-Cantons, et permet au public de découvrir les légendes de la Suisse à plusieurs endroits, de la plaine du Grütli à la chapelle des Confédérés de Brunnen, en passant par la Pierre de Schiller.

Monika Schmidig Römer s’arrête devant la chapelle de Tell, entre Sisikon et Flüelen, à même la rive du lac. «Ici, les peintures murales représentent Tell, Gessler et le serment du Grütli, des symboles de l’identité suisse». Pourtant, ils ne sont pas attestés historiquement. «Guillaume Tell a certes été mentionné pour la première fois en 1472 dans le 'Livre blanc de Sarnen', explique la spécialiste, mais on ne trouve aucune personne portant ce nom dans les archives.»

L’image du tir sur la pomme vient du Danemark

L’image du tir sur la pomme n’est pas non plus une invention suisse; elle est commune à plusieurs légendes européennes et trouve son origine dans le héros danois Toko. Pourtant, aucun autre pays que la Suisse n’en a fait un élément aussi important de ses mythes fondateurs.

Guillaume Tell s’est fait connaître au-delà des frontières du pays, notamment en tant que personnage phare de la pièce éponyme de Friedrich Schiller en 1804. C’est pourquoi on trouve en son honneur, à proximité du chemin de randonnée, ce que l’on appelle la Pierre de Schiller. Il s’agit d’un bloc de pierre qui s’élève à 20 mètres au-dessus du lac et porte l’inscription suivante: «Au chanteur de Tell / F. Schiller / Les cantons primitifs / 1859».

Friedrich Schiller n’était pourtant jamais allé en Suisse. Son histoire reposait sur le récit de Johann Wolfgang von Goethe. Alors tout ça n’est-il que du vent? «L’important dans les légendes n’est pas l’exactitude historique, mais le message qu’elles véhiculent», explique Monika Schmidig Römer. Contrairement aux contes, les légendes ont au moins un fond de vérité. «Tell est ainsi devenu une figure d’identification, le combattant de la liberté et de l’indépendance», illustre la conférencière.

Un sentiment d’appartenance pour un État jeune

Mais pourquoi les légendes ont-elles constitué, jusqu’à récemment, un pan incontesté de l’enseignement de l’histoire suisse? «Il faut considérer les contes et les légendes dans leur contexte historique», répond Monika Schmidig Römer. Jusqu’au 16e siècle, les légendes étaient uniquement transmises oralement. Aegidius Tschudi a été l’une des premières personnes à commencer à collecter ces histoires et à les consigner par écrit.

Son objectif était de retracer l’histoire des origines de la Suisse. Il a rassemblé les légendes autour de Guillaume Tell et du serment du Grütli et les a complétées avec les dates, qui selon lui manquaient. Selon ses calculs, la Suisse a été fondée le 8 novembre 1307. «C’est ainsi que les histoires sont devenues l’histoire», explique Monika Schmidig Römer. Particulièrement à l’époque de la formation des États-nations au 19e siècle, on cherchait une histoire commune à la Suisse, jusqu’alors divisée, qui créerait une cohésion et un sentiment d’appartenance.

Après la guerre du Sonderbund en 1847, Arnold Winkelried est devenu une figure de proue, un symbole de la résistance. Selon la légende, il aurait saisi un faisceau de lances de chevaliers habsbourgeois lors de la bataille de Sempach en 1386 et se serait ainsi sacrifié pour ouvrir une brèche aux Confédérés. Mais son existence non plus n’est pas prouvée historiquement. «Tell et lui ont néanmoins joué un rôle central dans la cohésion qui a suivi la création du jeune État fédéral», explique Monika Schmidig Römer. La statue monumentale de Guillaume Tell érigée en 1895 à Altdorf, dans le canton d’Uri, en témoigne.

Une figure d’identification

Le monument attire aujourd’hui encore beaucoup de touristes suisses et étrangers, car son image de figure d’identification suisse reste préservée. Ainsi, Guillaume Tell figure régulièrement sur les affiches de votation, comme récemment pour le paquet de soutien aux médias.

La statue de Guillaume Tell avec son fils Walther, sur la place de la mairie d’Altdorf. Le héros national suisse est aujourd’hui considéré comme un personnage fictif. Photo Eva Hirschi

Il arrive aussi que son histoire soit réinterprétée, comme avec les Jeux de Tell, qui ont lieu chaque année à Interlaken, ou avec le roman Tell, qui sera publié en mars 2022 par Joachim B. Schmidt. Dans le passé également, Guillaume Tell était omniprésent, comme le montre l’exposition temporaire au Forum de l’histoire suisse à Schwyz. Le personnage orne des fourreaux de couteaux, des livres, des cartes postales et des peintures. On peut même y voir l’arbalète (supposée) de Guillaume Tell.

L’exposition explore également d’autres légendes, comme celle du Toggeli, le fantôme de la nuit, en Suisse centrale, ou celle des dragons du mont Pilate, dans le canton de Lucerne. Des bornes audio permettent d’écouter des légendes racontées dans les quatre langues nationales. «Autrefois, Google n’existait pas, note Monika Schmidig Römer, alors les gens essayaient d’expliquer les événements mystérieux par d’autres moyens.» L’araignée noire de Jeremias Gotthelf, par exemple, est un récit sur les notions chrétiennes et humanistes du bien et du mal, des mœurs, de la décence et d’une vie respectueuse de Dieu.

Une fonction politique

Mais les légendes ne sont pas tout. La glorification du pays, de son histoire et de ses idées politiques fait aussi partie de la Suisse et de ses mécanismes identitaires. En témoignent le mythe alpin, le fait de se percevoir comme une nation volontaire et paysanne, ou encore des valeurs comme la démocratie directe, la neutralité et la tradition humanitaire.

Le Pacte fédéral de 1291 a également joué un rôle important. Ce document, qui était tombé dans l’oubli pendant 500 ans, a ensuite été officiellement déclaré acte fondateur de la Suisse par le Conseil fédéral, lors de la célébration du 600e anniversaire de la Confédération en 1891 - la première fête du 1er août.

«Pour un pays qui n’est uni ni par ses limites territoriales ou linguistiques, ni par une confession ou une culture partagées, il fallait d’autres points communs, souligne Annina Michel, directrice du Musée des chartes fédérales. C’est pourquoi on a cherché des racines communes dans l’histoire.» Au cours des décennies suivantes, le Pacte fédéral a été érigé en sanctuaire national, symbolisant la Suisse fondée sur l’indépendance et la liberté, ainsi que la première «Constitution fédérale».

Dans le contexte de la défense spirituelle du pays pendant la Seconde Guerre mondiale, ces symboles ont également eu une fonction politique forte: en temps de menace externe, ils ont rappelé aux Suisses leur unité interne. C’est ainsi qu’a été créé en 1936 le Musée des chartes fédérales, qui existe encore aujourd’hui, à quelques minutes à pied du Forum de l’histoire suisse à Schwytz. Le Pacte fédéral y a été déposé sur «l’autel de la patrie».

Les légendes ont une valeur

Dans les années 1970, la recherche a toutefois montré que le Pacte fédéral n’était pas du tout un acte fondateur, mais une simple alliance de paix territoriale entre les vallées d’Uri, de Schwytz et de Nidwald. Dans les années 1970 et 1980, Guillaume Tell et le serment du Grütli ont aussi été qualifiés de conservateurs, hostiles au progrès, et relégués au statut de simples contes.

Annina Michel croit néanmoins à une renaissance de ces légendes. «Aujourd’hui, le discours scientifique ne remet plus en question le rôle que ces mythes ont joué comme piliers de l’État, en particulier au 19e siècle. Certes, ils ne peuvent pas être prouvés historiquement – le serment du Grütli n’a par exemple jamais eu lieu – mais cela ne signifie pas qu’ils n’ont aucune valeur.»

On s’accorde à dire que ces mythes ont eu une importance capitale pour le développement d’une identité nationale. «Ils ne sont certes plus glorifiés aujourd’hui, mais on reconnaît leur apport», ajoute la directrice du Musée des chartes fédérales. C’est d’ailleurs pour expliquer l’impact et l’importance de ces mythes que le musée existe toujours aujourd’hui, même si le Pacte fédéral n’est plus posé sur un autel, mais simplement exposé dans une vitrine.

vers l'article original sur swissinfo.ch

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