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  • Série littéraire

Cäsar von Arx | L’amer constat «que l’on se survit à soi-même»

03.10.2025 – Charles Linsmayer

Cäsar von Arx (1895-1949) fut le dramaturge suisse le plus connu avant 1945.

Cäsar von Arx (1895 – 1949)

La nouvelle pièce de Cäsar von Arx, «Der heilige Held», est jouée pour la première fois le 5 mars 1936 au Schauspielhaus de Zurich dans une mise en scène de Leopold Lindtberg. Elle raconte un épisode de la fronde des habitants de l’Entlebuch contre la ville de Lucerne en 1478. Le fomenteur des troubles, Peter Amstalden, est promis à l’échafaud, à moins que son beau-père, l’ermite Nicolas de Flue, ne prenne parti pour Lucerne. Ce dernier refuse, et Amstalden est décapité au moment où l’ermite sauve la paix nationale par son message à la Diète de Stans. «Qui veut trouver Dieu doit servir les hommes», dit la pièce, «et qui veut servir les hommes doit chercher Dieu.» Malgré l’accueil favorable de la critique et les louanges de Thomas Mann, selon qui «cette pièce enracinée dans la terre natale, avec sa langue rugueuse, donne à voir le meilleur de la Suisse», la pièce ne sera représentée que trois fois de plus, devant de rares spectateurs. Le public boude-t-il ses «poètes suisses», qui, dans ces années-là, s’illustrent davantage, face à leurs concurrents étrangers, par leurs activités douteuses en coulisses que par leur génie scénique?

L’impasse de la «défense spirituelle du pays»

Il n’en reste pas moins que Cäsar von Arx, né le 23 mai 1895 à Bâle, auteur de l’adaptation de «L’Or ou La merveilleuse histoire du général Johan August Suter» de Cendrars et de la pièce à succès «La trahison de Novare», est le dramaturge suisse le plus célèbre de cette époque. Pourtant, lui aussi se retrouvera dans l’impasse de l’isolement choisi par la Suisse sous le signe de la défense spirituelle du pays. Influencé par Schiller, Shakespeare et Arnold Ott, il ne trouvera jamais sa place parmi l’avant-garde de sa génération. Son domaine est l’histoire, et l’histoire suisse. En 1932, quand «L’Or» connaît un échec retentissant à Berlin, il s’entête plus que jamais dans cette voie. «Que les juifs arrogants des grandes villes se trouvent une autre plume», écrit-il avec dépit dans une lettre à son père, avant de s’attaquer à trois nouveaux sujets historiques suisses.

«L’‹homme normal› de cette ‹ère de l’électricité› taxerait de fou quiconque déclarerait que le flambeau est aussi précieux que l’ampoule électrique. Mais que fera-t-on si, un jour, le courant qui alimente l’ampoule se tarit? Le porte-flambeau ne redeviendra-t-il pas immédiatement un Prométhée? De quel droit me raille-t-on donc aujourd’hui, ou me traite-t-on comme un fossile parce qu’à l’ère de la technique, je chéris et cultive la connaissance de soi, la culture de l’individu, ce qui rend une personnalité unique? Les gens inclinent à faire de ce qu’ils tiennent pour important le seul dogme menant à la félicité: ils ne respectent plus que l’électricien, et méprisent le porte-flambeau.»

(Extrait de «Die Fackelträger», in: Cäsar von Arx: Werke IV, édité par Reto Caluori, Schwabe Verlag, Bâle 2008) 

Le dramaturge et écrivain Cäsar von Arx devant le cabanon où il travaillait, au-dessus de chez lui à Niedererlinsbach (AG), en 1944. Photo Keystone

L’heure de gloire du «Bundesfeierspiel» de 1941

Son heure de gloire arrive en 1941, à Schwytz, quand plus de 100’000 spectateurs assistent à son «Bundesfeierspiel» pour le 650e anniversaire de la Confédération, sans savoir que le texte a été impitoyablement expurgé de la question des réfugiés et de l’antifascisme par le conseiller fédéral Philipp Etter. 1945 est cependant l’année du douloureux réveil. Commentant la pièce de théâtre «Nun singen sie wieder» de Max Frisch, qui connaît alors un vif succès, Cäsar von Arx écrit dans son journal: «Pourquoi est-ce que je ne parviens jamais à écrire quelque chose d’aussi simple et fluide et profond, d’aussi poétique? Moi et mes éternels machins historiques. Il est amer de devoir faire le constat que l’on se survit à soi-même.» Et, de fait, le dramaturge, dont les dernières œuvres seront un drame consacré à Zwingli, «Brüder in Christo», et une pièce commémorative pour le 450e anniversaire de la bataille de Dornach, ne retrouvera jamais son chemin vers le présent. «Sans la formidable confiance de ma femme, il y a bien longtemps que j’aurais abandonné le combat contre moi-même», avoue-t-il en 1947 à Franz Beidler. Quand Gertrud von Arx meurt, le 14 juillet 1949, il se suicide quelques heures plus tard dans son cabinet de travail à Niedererlinsbach. «Nulla crux, nulla corona»: «Nulle croix, nulle couronne», fait-il écrire sur sa tombe. La couronne lui sera restée refusée car il n’avait jamais pu abandonner l’idée d’un drame national suisse.

Bibliographie: Éditées en quatre volumes par Armin Arnold, les œuvres complètes de Cäsar von Arx sont parues de 1986 à 2008 aux éditions Schwabe à Bâle.

Charles Linsmayer est spécialiste en littérature et journaliste à Zurich

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