Menu
  • Sport

Patrie contre patrie

23.05.2016 – Etienne Wuillemin

Le match de championnat d’Europe du 11 juin contre l’Albanie n’a rien d’une affiche ordinaire pour l’équipe nationale suisse. Et pour cause, puisque de nombreux joueurs sont originaires du Kosovo.

C’est un matin magnifique. Berne se réveille. Le soleil illumine le Palais fédéral. À quelques pas de là flotte le drapeau du Kosovo. Mustafe Dzemaili ouvre son bureau, me prie d’entrer et commence à raconter. Depuis une bonne année, il est l’ambassadeur du Kosovo en Suisse. Il attend le 11 juin avec impatience. Pour lui aussi, cette journée aura une saveur particulière. C’est ce jour-là que la Suisse affrontera l’Albanie dans le cadre du championnat d’Europe. «Le match des frères!», affirme Mustafe Dzemaili, le sourire aux lèvres. Mais ce n’est pas aussi simple. La Suisse contre l’Albanie, ce n’est pas qu’un match. C’est une affiche inédite. La Suisse A contre la Suisse B, disent les uns. L’Albanie contre l’Albanie, disent les autres. Le Kosovo plus contre le Kosovo plus, disent encore les autres. Tous ont raison.

Personne n’incarne mieux ce match que les frères Granit et Taulant Xhaka. Jamais deux frères nés de la même mère et du même père ne s’étaient affrontés dans un championnat d’Europe. Quelle joie et quel défi à la fois! L’automne dernier, lorsque la Suisse s’est qualifiée pour le championnat d’Europe avec Granit Xhaka ainsi que l’Albanie avec Taulant Xhaka, leur père, Ragip Xhaka, s’est exclamé au téléphone: «Je suis le père le plus fier du monde! Un fils qui joue pour la Suisse, l’autre fils qui joue pour l’Albanie. Cette image illustre notre histoire à la perfection.» Et lui de rajouter: «Heureusement que j’ai deux mains! L’une applaudira Granit et la Suisse, l’autre applaudira Taulant et l’Albanie. Peut-être y aura-t-il match nul?»

Granit et Taulant Xhaka se font écho lorsqu’ils parlent de ce duel imminent. Ils disent des choses comme: «Il est dur de devoir jouer contre son propre sang.» Avant d’ajouter, plus tard dans la discussion: «C’est un match. Un match particulier, sans doute. Mais j’ai hâte d’y être. Et même contre mon frère, je me battrai. Car ce que nous voulons, c’est gagner!» «Nous», la Suisse. Et «nous», l’Albanie.

Des «traîtres» érigés en modèles

Au sein de l’équipe nationale suisse, de nombreux joueurs ont leurs racines au Kosovo. Les trois joueurs les plus connus du moment en font partie: Granit Xhaka, Xherdan Shaqiri et Valon Behrami. Dans leur pays d’origine, ils sont considérés comme des traîtres qui ne se battent pas pour leur pays, l’Albanie. Mais l’ambassadeur Mustafe Dzemaili a du mal à comprendre ce genre de diffamation. «C’est un sport. Ce sont des sportifs qui se mesurent à leurs adversaires. Point. Personne ne devrait se servir du football pour faire prêter à quelqu’un des idées ou messages politiques.» Les joueurs suisses d’origine kosovare ne se sont pas positionnés contre l’Albanie mais «pour la Suisse, pour le pays qui les a accueillis et qui leur a beaucoup apporté dans la vie».

Parfois, en discutant avec Dzemaili, on a le sentiment qu’il a honte de ce que Behrami, Shaqiri ou même Xhaka doivent endurer. Il insiste alors: «Les footballeurs sont un parfait exemple d’intégration réussie. Leur culture est celle du ‹vivre ensemble›. Et ce faisant, ils ont ouvert une voie qui se généralise à tous les domaines, que ce soit en politique, dans la science ou en médecine.»

Pour Shaqiri, Behrami et Xhaka , les voix qui s’élèvent de leur pays d’origine ne sont qu’une partie de celles qui les blâment. Car ils doivent aussi se battre en permanence pour se faire accepter en Suisse. Les autres voix qui s’élèvent sont celles de ceux qui se demandent s’ils sont suffisamment intégrés en Suisse pour être considérés comme des Suisses. Le débat s’enflamme lorsque les joueurs restent muets au moment où retentit l’hymne national, ou lorsqu’il leur arrive de se faire ovationner avec l’aigle à deux têtes lors d’un but marqué.

La sincérité de Behrami

Valon Behrami est le plus âgé des joueurs de l’équipe nationale suisse ayant des origines kosovares. Il a pris les plus jeunes sous son aile. Et prend les devants lorsqu’il s’agit de répondre à ces questions, ce qu’il fait avec une sincérité remarquable. Behrami affirme: «Parfois, j’envie les joueurs qui sont nés ici. Ils sont les seuls à savoir ce que cela fait d’entendre retentir l’hymne national. C’est une chose qui me manque. Et malgré tout, je donne toujours tout ce que j’ai pour la Suisse.»

Une chose est sûre: le talent de ces joueurs, combiné à leur soif de gagner et à leur grande assurance, a permis au football suisse de faire un bond en avant décisif. «Sans eux, nous n’en serions pas là aujourd’hui», affirme l’ancien sélectionneur Ottmar Hitzfeld.

En 2009, la Suisse a célébré son tout premier titre de championne du monde de football. Certes, ce n’était «que» les M17, mais cette victoire marquait le début d’une nouvelle ère. Cette génération dorée, marquée par des joueurs partagés entre deux nations, est une promesse pour le football suisse. Granit Xhaka aussi a contribué à la conquête de ce titre. Aujourd’hui, il en est persuadé: «Avec un peu de chance et de bonnes performances, nous pouvons remporter le titre de champions du monde.» Voilà un état d’esprit avec lequel la Suisse doit encore se familiariser.

Etienne Wuillemin est journaliste sportif à La «Schweiz am Sonntag».

Commentaires

×

Prénom, nom, pays/lieu de résidence sont obligatoires

Indiquez un nom valide

Adresse email valide requise!

Entrez une adresse e-mail valide

Commentaire est obligatoire

Vous devez accepter les règles du jeu concenrant les commentaires.

Veuillez accepter les conditions

* Ces champs de saisie sont obligatoires

Commentaires :

  • user
    Ernst Ruetimann , Trang 26.06.2016 à 13:58
    Ja , wo sind den der Huber , Meyer , Kraehenbuel , Boser , und andere Urschweizer geblieben . Jetzt sind die Secondos und andere Reislaeufer , dessen Namen ich nicht mal weiss wie aussprechen , wie : Shaquiri , Xhaka und Andere auf dem Spielfeld .- Das waren noch Zeiten , als die Nationalelf vollumfaenglich Schweizernamen trugen . Ich habe ja nichts gegen diese zugewanderten Leute , aber das allerschlimmste ist natuerlich das Vermarkten der Clubs , Spieler und die TV Rechte mit der Werbung noch dazu . Es ist eine Schande ! Natuerlich nicht nur in der Schweiz , sondern Weltweit .-
    Présenter la traduction
top