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«Les Suisses de l’étranger ont été présentés comme des patriotes modèles»

23.05.2016 – Marko Lehtinen

Rudolf Wyder a été directeur de l’Organisation des Suisses de l’étranger de 1987 à 2013. Il vient d’écrire un livre qui a pour thème les 100 ans de l’OSE.

«Revue Suisse»: Monsieur Wyder, vous mettez la dernière main à votre livre qui a pour thème les 100 ans de l’OSE et qui paraîtra début août. Lors de vos recherches, avez-vous découvert des faits que vous ignoriez encore, même après avoir été directeur de l’organisation pendant de longues années?

Rudolf Wyder: Absolument. J’ai certes été à la tête de l’OSE pendant de nombreuses années, mais certains pans de son histoire m’étaient peu connus. J’ai décidé de combler ces lacunes par intérêt personnel. Plusieurs aspects n’avaient encore jamais été examinés sous un angle historique. Quel rôle l’organisation a-t-elle joué dans le cadre de la Première Guerre mondiale? Et surtout pendant la Seconde Guerre mondiale? Ces questions étaient jusqu’ici demeurées sans réponse..

Où avez-vous trouvé les informations pour écrire votre livre?

J’ai d’abord consulté les rapports annuels de l’OSE à partir de 1919. Les rapports et les messages du Conseil fédéral ainsi que les procès-verbaux du Parlement m’ont également été très utiles. Les archives de l’OSE, qui sont déposées auprès des Archives fédérales, sont en outre très complètes.

Comment l’OSE a-t-elle vu le jour il y a un siècle sous l’égide de la Nouvelle Société Helvétique?

Le patriotisme a été au cœur de la création de l’OSE. Redoutant l’implosion de la Suisse, un groupe d’intellectuels fondèrent la Nouvelle Société Helvétique (NSH) en 1914. Ils observèrent avec inquiétude la manière dont la Suisse alémanique et la Suisse romande prenaient fait et cause pour leur langue respective dans le cadre de la guerre entre les nations. Cette bipolarisation aurait pu être fatale à la Suisse. Les fondateurs de la NSH y ont opposé un patriotisme fédéral, appelé à inclure également les Suisses de l’étranger. En 1916, les premiers groupes de la NSH furent fondés à l’étranger. En 1917, la Commission des Suisses de l’étranger voyait le jour, suivie deux ans plus tard par le Secrétariat des Suisses de l’étranger. À compter de ce moment, l’organisation a été pleinement opérationnelle.

Quelles étaient les tâches concrètes de l’OSE?

Ses priorités absolues étaient de veiller au rattachement des Suisses de l’étranger à la Suisse et d’informer sur la position du pays en tant qu’État neutre. Par la suite, l’OSE a peu à peu relayé des demandes spécifiques émanant des Suisses de l’étranger. À partir de 1919, elle s’est par exemple engagée aux côtés du groupe de la NSH d’Athènes en faveur de l’ouverture d’une ambassade en Grèce.

Au départ, l’OSE a idéalisé les Suisses de l’étranger. Elle les a même élevés au rang de héros. Pourquoi?

Les Suisses de l’étranger devaient servir de modèle aux autres Suisses – en tant que pionniers intrépides mais surtout en tant que patriotes: voyez donc ces Suisses qui sont certes Romands, Suisses alémaniques ou Tessinois mais qui, à l’étranger, se considèrent avant tout comme Suisses. Dans le cadre des efforts déployés pour préserver le pays de l’implosion, les émigrants suisses ont été présentés comme des patriotes modèles.

Quel était, en 1916, le pays de destination d’un Suisse de l’étranger typique?

Depuis la fin du XIXe siècle, la Suisse a connu une vague d’émigration importante, avec une exception pour la Première Guerre mondiale, de 1914 à 1918. Les pays de destination étaient déjà essentiellement les mêmes qu’aujourd’hui, à savoir les pays au sein de l’Europe. Mais ces émigrants-là n’entraient pas dans le cadre des statistiques. Seules les personnes en partance pour l’Amérique ou l’Australie étaient répertoriées.

Une conception intéressante de la Suisse et de l’étranger ...

Tout à fait. Au départ, les grandes communautés de Suisses établis en France et en Allemagne n’ont pas retenu l’attention des autorités. Il a fallu attendre 1926 pour qu’elles soient intégrées aux statistiques des Suisses de l’étranger.

Quelles sont les principales différences entre les émigrants de l’époque et ceux d’aujourd’hui?

Je vois une différence essentielle: autrefois, ceux qui partaient du pays n’y revenaient en principe pas. Il faut se rappeler qu’une lettre envoyée depuis l’Australie mettait alors plusieurs semaines avant d’arriver en Suisse. Internet n’existait pas pour s’informer et communiquer et il était beaucoup plus difficile de voyager. En conséquence, les personnes qui revenaient au pays étaient très rares. Aujourd’hui, la diaspora suisse présente des caractéristiques très différentes: elle s’est beaucoup rapprochée de la Suisse. Le monde est devenu plus petit et les distances ont pour ainsi dire été réduites aux décalages horaires. De ce fait, de nombreux Suisses rentrent dans leur patrie.

Les tâches de l’OSE ont-elles évolué au fil du temps?

Les instruments et les formes d’activité ont bien sûr connu des changements, mais les trois principaux domaines d’activité sont restés identiques: la fourniture de prestations aux Suisses de l’étranger, la communication et la représentation des intérêts de la diaspora en Suisse. Celle-ci a d’ailleurs fortement gagné en importance au cours des vingt dernières années.

L’existence de l’OSE a-t-elle été remise en cause à une époque ou à une autre?

Sa raison d’être n’a jamais été contestée. À certains moments, l’OSE a toutefois dû se serrer si fort la ceinture que la question s’est posée quant à sa capacité économique de poursuivre ses activités. Ici et là, des critiques se sont par ailleurs élevées en interne lorsque certains groupements de Suisses à l’étranger ont contesté le travail effectué par l’organisation. Dans les années 70 et 80, un groupement a par exemple soutenu avec force que l’OSE devait revoir sa structure, notamment en devenant un organe d’État et en élisant directement le Conseil des Suisses de l’étranger.

Quel lien l’OSE entretient-elle avec les 750 associations suisses dans le monde?

Le lien a tendance à se relâcher en fonction de la distance. Les échanges sont intenses uniquement avec certaines associations particulièrement dynamiques et, bien sûr, avec les grandes organisations faîtières en Europe. À relever que les membres de la Commission des Suisses de l’étranger sont élus depuis 1959 par les associations suisses.

Depuis 1992, les Suisses de l’étranger ont la possibilité de voter et d’élire par correspondance. C’est également en 1992 qu’a été inscrite dans la loi la mission d’information de la Confédération à l’égard de la diaspora concernant les objets soumis en votation. Cette mission sert les intérêts de la «Revue Suisse», magazine publié par l’OSE. Selon vous, quel est aujourd’hui le rôle de la «Revue Suisse» en tant que faiseuse d’opinion politique?

La «Revue Suisse» est une publication indispensable. C’est le seul média qui atteint tous les Suisses de l’étranger enregistrés en tant que tels et qui les rend attentifs à leurs droits et à leurs obligations, notamment aux possibilités politiques de participer. Il s’agit d’un point qui garde toute son importance, même à l’ère d’internet. Car s’il est possible de trouver toutes les informations souhaitées sur le Web, il faut en premier lieu savoir ce que l’on cherche. Pour sa part, la «Revue Suisse» a l’avantage d’être fournie au destinataire. L’obligation de la Confédération est en effet clairement définie en la matière.

Quels sont, à votre avis, les principaux défis auxquels l’OSE sera confrontée prochainement?

L’OSE a contribué dans une large mesure à ce que nous disposions aujourd’hui d’une base solide en matière de politique des Suisses de l’étranger au sens large du terme. Depuis l’année dernière, il existe une loi fédérale sur les Suisses de l’étranger ainsi que différentes lois sectorielles qui règlent des aspects essentiels. Leur développement est toutefois une tâche de longue haleine. À mon avis, le principal défi posé à l’organisation est la définition, d’entente avec les autorités, d’une stratégie face à la mobilité croissante des Suisses. Il s’agit en effet de faciliter cette mobilité. L’OSE doit par ailleurs faire face aux développements qui caractérisent le secteur de la communication. Enfin, le troisième défi à relever est également de taille: le potentiel des Suisses de l’étranger en termes d’innovation et de réseautage est encore trop peu valorisé. La Suisse doit réfléchir aux moyens de faire un meilleur usage de la richesse que représente son importante diaspora.

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