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«On remet en cause le sentiment fondamental du lien avec l’Europe»

05.08.2021 – Interview: MARC LETTAU

Il s’engage avec ardeur pour préserver le souvenir de l’Holocauste. Et il voudrait que la «Cinquième Suisse» ait davantage de poids politique. Remo Gysin, président sortant de l’OSE, jette un regard sur le passé et ouvre des perspectives pour l’avenir.

Remo Gysin, vous êtes né peu avant la fin de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, vous vous battez pour la création d’un mémorial suisse de l’Holocauste. Ce projet est-il votre legs à la société?

Ce sujet m’a préoccupé toute ma vie. La guerre, ses conséquences et les atrocités de l’Holocauste constituaient un thème récurrent à l’école et dans ma famille, un thème très lourd. Je ne peux toujours pas comprendre ce qu’il s’est passé à l’époque.

Mais qu’est-ce qui vous a amené, des décennies après la fin de la guerre, à réveiller le débat sur la culture du souvenir de l’Holocauste avec cette idée de mémorial?

L’impulsion première est venue de la revue «Beobachter», qui a posé un regard neuf sur le sujet en 2017, en mettant l’accent sur les citoyens suisses qui ont été victimes des horreurs de l’époque. Sur les combattant suisses dans la résistance française. Sur les Suisses de l’étranger de confession juive. Et sur d’autres victimes comme les femmes qui, en se mariant, ont perdu leur nationalité suisse, et en même temps la protection de la Suisse. J’ai trouvé cet article bouleversant.

Aujourd’hui, on ne perd plus sa nationalité suisse en se mariant. Les Suisses de l’étranger sont généralement mieux protégés et considérés qu’autrefois. Les temps paraissent avoir changé.

Tout n’est pas parfait, loin de là. On voit par exemple l’antisémitisme reprendre de la vigueur. Et quand les tensions montent, comme celles que nous observons en ce moment entre Israël et la Palestine, les Suisses de l’étranger sont à nouveau menacés. Mais à d’autres égards aussi, certaines personnes ont besoin de protection dans la «Cinquième Suisse», par exemple lors de catastrophes naturelles, ou les personnes frappées par la pauvreté.

Remo Gysin lors de la présentation du projet de mémorial de l’Holocauste à Berne. Photo Keystone

Le mémorial suisse de l’Holocauste est à présent en bonne voie. Cela relègue-t-il dans l’ombre les autres moments forts que vous avez vécus à l’OSE?

Les 20 ans que j’ai passés à l’OSE ont été riches en moments forts. Je pense en particulier à toutes les rencontres que j’ai faites avec des Suisses de l’étranger. De plus, j’ai eu la chance de commencer mon mandat de président au moment où l’on fêtait le centenaire de l’OSE.

Une entrée en matière éblouissante …

… suivie d’étapes éblouissantes, comme la Fête des Vignerons en 2019 à Vevey, avec sa journée consacrée aux Suisses de l’étranger. Dans un tout autre genre, même la pandémie de coronavirus a été quelque chose de particulier: j’ai été impressionné par la rapidité avec laquelle nous avons réussi à adopter de nouvelles formes de communication.

Le passé se mesure à l’aune des moments forts. Pour l’avenir, en revanche, ce sont les défis à relever qui sont déterminants. Je pense ici à l’abandon de l’accord-cadre.

La rupture des négociations par la Suisse soulève de nombreuses questions sur l’avenir de la mobilité internationale, la liberté d’établissement, la libre circulation des personnes, l’assurance-maladie et les assurances sociales. Nous entrons dans une ère de grande incertitude.

Cet entretien se déroule à Bâle et, pour l’instant, aucun changement n’est à noter.

Ce qu’on remarque, c’est qu’une ville comme Bâle ne fonctionnerait pas sans tous les frontaliers qui font tourner notre système de santé et presque toutes les branches de l’économie. On remet à présent en cause le sentiment fondamental du lien avec l’Europe. La rupture des négociations crée un grand flou. Elle pose problème, notamment parce qu’on n’a pas tenu compte de la situation des plus de 400 000 Suisses qui vivent au sein de l’UE.

Vous êtes fidèle à vous-même: lorsque vous étiez conseiller national déjà, vous critiquiez la politique européenne du Conseil fédéral.

La politique étrangère de la Suisse s’est toujours située dans un champ de tensions: que voulons-nous? Et qui décide? La participation du Parlement est ancrée dans la Constitution. Cela signifie aussi que le peuple a le dernier mot et peut, le cas échéant, se saisir du référendum. Là, le Conseil fédéral a tranché tout seul. Cette manière de faire affecte le cœur de notre démocratie.

En ce qui concerne l’accord-cadre, le Conseil fédéral a tranché tout seul. Cette manière de faire affecte le cœur de notre démocratie.

Remo Gysin

Président de l'OSE

Est-ce que cela vous redonne envie de vous battre pour une adhésion à l’UE?

Je crois du moins que la décision du Conseil fédéral de rompre les négociations a remis l’adhésion à l’UE sur le devant de la scène.

Il serait intéressant que les Suisses de l’étranger puissent donner leur avis sur des questions aussi importantes. Certains affirment toutefois que le Parlement de la «Cinquième Suisse», le Conseil des Suisses de l’étranger (CSE), n’a aucun poids véritable.

Aujourd’hui, l’OSE possède de bonnes connexions politiques. Notre influence s’est accrue. Nous entretenons des contacts étroits avec les parlementaires et les autorités. Le CSE représente lui aussi mieux qu’avant la «Cinquième Suisse». Hélas, je dois reconnaître que nous sommes encore loin du but. Si le poids politique du CSE s’accroît, sa représentativité doit s’améliorer. Nous devons donc faire en sorte qu’à l’avenir, tous les Suisses de l’étranger adultes puissent participer aux élections du CSE. Telle est ma vision de la démocratie.

Un système de vote électronique sera utilisé pour la première fois à large échelle lors des élections du CSE de 2025. Cette avancée sera-t-elle déterminante?

Le vote électronique facilite tout, tant pour les élections et votations fédérales que cantonales. Cependant, il est très important aussi que nous nous dotions de notre propre système d’e-voting pour les élections du CSE. Et, surtout, il faut que les Suisses de l’étranger s’impliquent davantage. On l’a vu dans des pays comme l’Australie, le Mexique ou la GrandeBretagne, où les communautés locales ont tout fait pour qu’un aussi grand nombre de citoyens suisses que possible puissent voter sur place. C’est exemplaire.

Quels sont les sujets brûlants que vous laissez à votre successeur?

Ils sont bien connus: bon nombre de Suisses de l’étranger ne peuvent pas exercer les droits politiques que la Suisse leur garantit, la politique bancaire pose problème, et la pression politique intérieure sur les Suisses de l’étranger ne faiblit pas.

En clair, certains parlementaires réclament une restriction des droits civils des Suisses de l’étranger.

Exactement. Mais si l’on souhaite renégocier leurs droits civils, je propose autre chose: pourquoi ne pas créer une circonscription électorale à part pour la «Cinquième Suisse»? Elle serait ainsi mieux représentée et beaucoup plus visible. Il faut surtout tenir compte du fait que la mobilité a changé: les séjours à l’étranger ont tendance à se raccourcir. On observe un va-et-vient. C’est un argument fort contre la restriction des droits de participation politique des Suisses vivant à l’étranger. Nos compatriotes de l’étranger qui s’intéressent à la politique contribuent après tout de manière décisive à l’image d’une Suisse tolérante, connectée, parée pour l’avenir et ouverte sur le monde.

Que serait la Suisse sans la «Cinquième Suisse»?

Elle ne serait plus qu’une part d’elle-même!

Né en 1945, Remo Gysin fait de la politique au sein du PS depuis de nombreuses années. Il fait partie du Comité de l’OSE depuis 2001, et le préside depuis 2015. Son mandat s’achèvera à la fin du mois d’août 2021.

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