

- Puzzle
Pierre-Yves Maillard, Brésil
10.09.2025
La Cinquième Suisse est un puzzle coloré, varié et plurilingue de plus de 800’000 pièces. Aujourd’hui, la pièce est posée par ...
… Pierre-Yves Maillard, 70 ans, vit à Porto Alegre, capitale du Rio Grande do Sul, Sud-Brésil. Il est marié à und infirmière gaucha, naturalisée suisse, père de trois enfants et retraité de la coopération internationale et de la formation.

Photo MAD
Qu’est-ce que cela te fait d’être lié à plusieurs pays?
Par mon parcours, je me sens de fait lié de cœur à plusieurs peuples, de Centrafrique où j’ai été cinq ans coopérant, du Liban où j’ai rempli un mandat de délégué du CICR, de Colombie dont mes trois enfants sont métis, du Québec où j’ai une partie de ma famille maternelle, et bien sûr tout particulièrement du Brésil, pays de ma seconde épouse. Même si je me suis intégré à ces différentes cultures, ma patrie reste la Suisse, et plus précisément mon pays de Fribourg: mon identité principale s’y est forgée, par ma famille, mes amitiés, mes années de formation et d’engagement professionnel.
Quelle chanson te rappelle ton pays d’origine?
J’ai appris par cœur le «Nouthra Dona di Maortse» (Notre-Dame des Marches) de l’abbé Bovet, la chapelle des armaillis: alors que je vis maintenant dans une capitale de 1,5 millions d’habitants, avec une culture de la mer et de la pampa, ce chant résonne dans mon âme rurale et me rappelle nos montagnes et notre spiritualité.
Toi et la Suisse: quel est l’état actuel de ta relation?
Mon expatriation, choisie par amour, permet une précieuse distance critique. Notre démocratie ne me paraît pas sans failles (par exemple l’interférence de puissants lobbies ou l’instrumentalisation partisane des initiatives) mais elle reste un modèle, son fédéralisme et son gouvernement collectif spécialement, en contraste avec le système brésilien plus centralisé et présidentialiste. Je ne manque pas d’occasion pour en parler ici, à qui veut l’entendre – c’est dû peut-être à mon passé de prof de citoyenneté.
Qu’est-ce qui te manque le plus de la Suisse?
Ce sont les personnes, mes enfants, ma famille, mes amis qui me manquent vraiment.
Bien sûr, les paysages et certaines spécialités culinaires comme le fromage ou le chocolat se rappellent à mon bon souvenir, mais je les apprécie d’autant plus lors de mes séjours bisannuels au pays. Par contre, l’anonymat et l’ouverture spatiale énorme du Brésil me conviennent.
As-tu des attentes concrètes vis-à-vis de la Suisse?
Avant tout, j’attendrais de la Suisse qu’elle ne nous néglige pas, nous les compatriotes de l’étranger: que tout soit fait pour faciliter notre participation civique, qu’on combatte le préjugé réducteur des retraités profiteurs, alors que notre pension ne permet souvent pas une vie digne dans notre pays.

Parle-t-on plusieurs langues dans ta famille au quotidien?
Dans notre couple, on passe tout naturellement du français au portugais, sans plus savoir sur le moment dans quel idiome on se communique. Mon activité volontaire de traducteur m’a encore plus familiarisé avec cette langue latine, et je lis indifféremment dans les deux langues. Mes enfants ont, eux, grâce à leur mère colombienne, été élevés simultanément dans l’espagnol. Notre famille est vraiment latino-suisse!
Comment t’informes-tu sur l’actualité suisse?
Je suis de près les actualités suisses et fribourgeoises, par le téléjournal et l’édition numérique du quotidien «La Liberté». Par ailleurs, comme c’est notre droit le plus strict, je ne manque pas de voter… quand les documents arrivent à temps: vivement l’indispensable vote électronique! Le consumérisme semble gagner de l’espace en Suisse, mais aussi la préoccupation écologique. Cependant, en politique étrangère, je serais préoccupé par une priorité au réarmement (l’absurdité des F-35), une américanophilie exagérée, le repli sur soi sous prétexte de neutralité et trop de frilosité dans la défense des droits humains.
Comment la Suisse est-elle considérée dans ton pays de domicile?
Comme pour le Brésil chez nous, on retrouvera bien sûr ici tous les clichés habituels concernant la Suisse (banques ou chocolat, par exemple). Souvent, on m’évoque aussi la beauté des paysages. Mes interlocuteurs s’étonnent qu’on ait quatre langues et cultures nationales ou que le niveau de vie soit si élevé pour les propres citoyens helvétiques. Quand on approfondit un peu le sujet, notre construction historique (surtout depuis 1848) n’est pas sans surprendre et interroger. Mais ce qui semble surtout faire envie, dans mon pays d’adoption déchiré par les inégalités, violence et corruption, sont la sécurité et un juste retour de services sur les impôts. Par contre, on peut sans aucun doute admirer ici, entre autres, une formidable capacité d’organisation, une convivialité et un sens certain de la fête en musique…
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