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  • Politique

Le droit pénal pour lutter contre l’homophobie

20.11.2019 – Theodora Peter

Il y a 25 ans, la Suisse se dotait d’une norme pénale antiraciste, protégeant les personnes contre les offenses fondées sur l’appartenance raciale, ethnique ou religieuse. Cette protection contre la discrimination doit-elle s’étendre aux homosexuels? Le peuple suisse se prononcera le 9 février 2020.

En Suisse, l’amour entre personnes du même sexe est largement accepté par la société. Et pourtant, les homosexuels subissent encore et toujours des attaques, parfois accompagnées d’actes de violence. L’histoire, par exemple, de ce couple gay qui s’est fait rouer de coups et insulter par un groupe de jeunes hommes une nuit à Zurich a fait beaucoup de bruit dans les médias. L’organisation Pink Cross déclare recevoir jusqu’à quatre annonces d’agressions homophobes par semaine. Mais il n’existe pas, en Suisse, de statistiques sur les agressions basées sur l’orientation sexuelle. Par ailleurs, bon nombre d’agressions ne sont jamais déclarées à la police.

Le délit contre l’honneur d’un groupe de personnes est irrecevable

Aujourd’hui, l’incitation à la haine contre les homosexuels n’est poursuivie pénalement que dans certains cas. Si tout individu qui subit une offense peut porter plainte pour diffamation ou calomnie, l’article du code pénal sur les délits contre l’honneur ne s’applique pas aux offenses faites à des groupes entiers de personnes, par exemple les homosexuels. Ainsi, un homme politique appenzellois du parti d’extrême droite PNOS a pu traiter les homosexuels de «déserteurs démographiques» sur Facebook, les accuser de «préparer le terrain aux pédophiles» ou faire l’apologie de la «solution russe» (en Russie, les homosexuels sont victimes de répression) en toute impunité. La plainte collective déposée par Pink Cross pour délit contre l’honneur est restée sans suite. Le procureur a abandonné la procédure faute de base juridique.

Mathias Reynard, conseiller national PS valaisan, souhaite combler cette lacune du code pénal en étendant la norme antiraciste à l’orientation sexuelle. «L’homophobie n’est pas l’expression d’une opinion et doit être considérée comme un délit, à l’instar du racisme ou de l’antisémitisme», déclare-t-il. La norme pénale antiraciste, qui protège les personnes contre les offenses fondées sur l’appartenance raciale, ethnique ou religieuse, est en vigueur depuis 1995. En 2013, Mathias Reynard a déposé une initiative parlementaire demandant d’étendre cette protection à la discrimination fondée sur «l’orientation sexuelle». Sa demande a été favorablement accueillie par ses pairs. La Chambre basse voulait même aller plus loin en incluant dans la disposition le critère de «l’identité de genre», pour protéger contre les crimes de haine non seulement les homosexuels, mais aussi les bisexuels et les transsexuels (LGBT). Cela allait trop loin pour le Conseil des États, qui a souligné que l’«identité de genre» était juridiquement difficile à définir et que cela pourrait entraîner des problèmes d’interprétation. Finalement, les deux Chambres se sont mises d’accord pour intégrer l’«orientation sexuelle» à la norme pénale.

Résistance chrétienne conservatrice contre une «loi de censure»

Les juristes libéraux du Parlement se sont montrés sceptiques face à ces interdictions de discrimination supplémentaires. Ainsi, le conseiller d’État PLR appenzellois Andrea Caroni juge que le droit pénal est une arme «trop lourde» pour de tels cas. Il a invoqué la liberté d’expression et fait part de sa crainte de voir à l’avenir s’allonger la liste des discriminations potentielles. La «NZZ» a elle aussi publié un commentaire pour dénoncer ces nouvelles interdictions et encourager les gens à faire preuve de courage civique pour faire taire les homophobes.

Les principales résistances contre l’extension de la norme pénale antiraciste aux homosexuels viennent du parti chrétien conservateur UDF, des Jeunes UDC et du groupe de travail Jeunesse et famille. Sous le slogan «Non à la censure», un comité interpartis a rassemblé 67 500 signatures valables pour un référendum. Le peuple devra donc se prononcer sur le projet le 9 février prochain.

Les opposants critiquent ce qu’ils voient comme une restriction disproportionnée de la liberté de conscience. Le président de l’UDF, Hans Moser, craint qu’à l’avenir les pasteurs se retrouvent dans le collimateur de la justice «lorsqu’ils citent des vérités bibliques». Pour de nombreuses églises libres, l’amour entre personnes du même sexe est inconciliable avec les principes de vie énoncés dans la Bible. Le comité écrit que pouvoir parler publiquement de l’homosexualité de manière critique doit rester légitime et met en garde contre le danger d’une «justice morale». De leur côté, les Jeunes UDC veulent éviter une «nouvelle restriction de la liberté d’opinion». Le parti a dans sa ligne de mire la norme pénale antiraciste, qu’il a demandé plusieurs fois d’abroger.

Les juges accordent de l’importance à la liberté d’expression

En 1994 déjà, lors de l’introduction de la norme pénale antiraciste, les opposants mettaient la liberté d’expression au cœur de leur campagne contre ce qu’ils appelaient une «loi muselière». Mais près de 55 % des votants finirent par accepter le projet. Ainsi, la voie était libre pour que la Suisse devienne le 130e pays à adhérer à la Convention internationale de l’ONU sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Depuis lors, la question de savoir «si l’on peut encore tout dire» ne cesse de refaire surface. La liberté d’expression est-elle réellement en danger en Suisse? Mandatée par la Commission fédérale contre le racisme, la juriste Vera Leimgruber a analysé les jugements des tribunaux dans les affaires relevant de la norme pénale antiraciste. Elle arrive à la conclusion que jusqu’ici, cet article de loi a été appliqué avec beaucoup de réserve, et que les juges ont accordé un grand poids à l’argument de la liberté d’expression dans les cas limites. Ne constituent cependant pas des cas limite les déclarations portant atteinte à la dignité humaine, celle-ci étant considérée comme le socle des droits fondamentaux.

Ainsi, en 2017, le Tribunal fédéral a condamné deux cadres de l’UDC pour avoir publié une affiche intitulée «Kosovaren schlitzen Schweizer auf» («Des Kosovars poignardent la Suisse»). Le parti soulevait ainsi, dans le cadre de sa campagne pour l’initiative «Contre l’immigration de masse», le cas d’un criminel d’origine kosovare ayant agressé un Suisse avec un couteau à Interlaken. Les juges de la Cour suprême ont estimé que l’«affirmation généralisante» de l’affiche portait atteinte aux Kosovars en tant qu’ethnie et les présentait de manière rabaissante, tout en favorisant un climat de haine.

contre-les-discriminations-oui.ch

www.censure-non.ch

www.ekr.admin.ch/f112.html

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