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On ne s’en lasse pas, il est tellement parfait

14.08.2014 – Guido Tognoni

La Suisse a le Cervin, le Toblerone, Swatch et Rolex. Elle a aussi Guillaume Tell, Henri Dunant, Friedrich Dürrenmatt, Alberto Giacometti, Christoph Blocher et Sepp Blatter – ainsi que d’autres noms, qui embellissent ou ternissent l’image de notre pays. Un personnage occupe toutefois la plus haute marche du podium: Roger Federer.

Rien ne vient jamais perturber l’image, ni sur le court, ni en dehors. Roger Federer est immaculé et inébranlable. Il ne gémit ni ne crie lorsqu’il frappe la balle, n’arbore ni tatouages sur les bras, ni mèches colorées dans les cheveux. Et son revers à une main semble être l’un des plus aisés du circuit. Avec une élégance inégalée et une souplesse exemplaire, il vole sur le court, d’un coin à l’autre et de la ligne de fond au filet. Il s’exprime couramment en trois langues et s’efforce toujours de donner de la substance non seulement à son jeu, mais aussi à ses interviews. Et ce, le plus naturellement du monde. Même ces derniers temps, après plusieurs défaites, il n’a pas laissé transparaître le moindre signe de fatigue, ni de frustration.

De même, la ligne de vêtements créée pour Roger Federer par son sponsor principal, Nike, a davantage de classe que celles des autres joueurs sous contrat. On lui a conçu son propre logo. Si d’autres joueurs en ont aussi, personne ne les connaît. Et pour ce qui est des sponsors, Roger Federer est l’un des rares sportifs auxquels Rolex a fait l’honneur de proposer un contrat. En effet, être sollicité par la marque de montres de luxe est en quelque sorte une consécration publicitaire. Un privilège réservé à une poignée de grands noms de la culture et à quelques athlètes triés sur le volet. Le sponsoring de Rolex est synonyme de communication au plus haut niveau, valorisation réciproque à la clé.

Le même traitement pour tous 

Dans le choix de ses sponsors, Roger Federer recherche l’équilibre qu’il incarne lui-même. Parmi ses dix équipementiers et sponsors — laissons de côté les marques internationales Rolex et Credit Suisse –, trois sont suisses: Lindt, l’assurance Nationale Suisse et le fabricant d’appareils ménagers Jura. Mais une marque de fers à repasser n’est-elle pas un partenaire un peu trop sage pour une star de l’envergure de Federer? La question ne s’est posée qu’au début de la collaboration. Qui souhaite s’offrir Federer comme partenaire publicitaire doit faire des efforts. Jura les a faits et ils se sont visiblement révélés payants. Les messages publicitaires distillés par la star du tennis accroissent le prestige de la marque, qui a désormais rejoint un autre segment de marché. Sur la page d’accueil de Roger Federer, Jura figure entre Credit Suisse et Mercedes, car il ne classe pas ses partenaires publicitaires selon leur poids et leur importance, mais par ordre alphabétique. Ce qui évite de se perdre en palabres inutiles. Son site internet reflète d’ailleurs l’image du Bâlois (Bâle-Campagne) de 33 ans: propre et structuré, clair, discrètement chic et élégant – comme son tennis, serait-on tenté de dire. 

Personne – même parmi d’autres nantis – ne reproche à Roger Federer de dégager, grâce aux dons de ses sponsors, des revenus hors norme. Car contrairement à certains managers, les recettes de la star du tennis dépendent pour l’essentiel de ses performances. Et si Roger Federer, son épouse Mirka, ex-joueuse de tennis, et leur famille à l’extension prodigieuse – peu de Suisses ont deux fois des jumeaux – optimisent la fiscalité de Freienbach ou, récemment, de Wollerau, voilà qui ne donnera certainement pas matière à polémiquer. Chacun connaît sa fondation, active en particulier en faveur d’enfants africains; en l’occurrence, sa bienveillance est presque sans limite. Aucun Suisse n’a jusqu’ici mieux représenté notre pays que Roger Federer. La télévision diffuse les notions de Federer et de Suisse dans presque chaque patelin de ce monde. Dès lors, que représentent les efforts de Présence Suisse, l’agence de communication de la Confédération, en comparaison avec l’omniprésence de Federer? Que vaut une fondue sur Times Square à New York ou une loge VIP à la Coupe du monde de football en regard d’un titre à Wimbledon?

Capital sympathie grâce aux jumeaux

Aujourd’hui, tous les Suisses adorent Roger Federer, mais il n’en a pas toujours été ainsi; cette affection a mis du temps à s’affirmer. D’une victoire à l’autre, Federer a signé une phénoménale série de succès avec une facilité déconcertante qui contraste fortement avec l’opiniâtreté stakhanoviste de son grand rival, Rafael Nadal. En Suisse, où l’on a plutôt l’habitude de couper les têtes qui dépassent, une telle réussite était, au début, plutôt suspecte. En effet, si ses quatre élections au titre de sportif de l’année n’ont suscité aucune controverse, elles n’ont pour autant jamais été accueillies avec une euphorie démesurée. La Suisse n’a pas besoin de héros. Le pays des skieurs, des tireurs et des lutteurs n’est pas près de s’emballer sans réserve pour la superstar d’une discipline sportive planétaire dont on ne discerne pas la difficulté.

Roger Federer y est tout de même parvenu. Ses duels épiques face à Rafael Nadal, la perte de sa place de No 1 mondial, la multiplication de ses défaites, sa miraculeuse reconquête du premier rang à l’ATP, tout cela a marqué les esprits, et pas seulement ceux de ses inconditionnels. Mais Federer a définitivement gagné son capital sympathie grâce à la naissance des jumelles Myla et Charlene en 2009. Il n’était plus seulement un grand sportif: la famille Federer est devenue un sujet de société. Une notoriété qu’est encore venu accroître, le 6 mai, l’agrandissement de la famille par l’arrivée de nouveaux jumeaux, Leo et Lenny.

Plus rien d’exceptionnel à une défaite

Roger Federer fait aujourd’hui face à un moment difficile de sa longue carrière. Avec l’arrivée du Serbe Novak Djokovic, un troisième larron de valeur au moins équivalente a rejoint le duo Federer/Nadal qui régnait jusqu’alors sans concession sur le circuit, et la nouvelle génération de joueurs émergents ne voue plus le même respect aux cadors. Ainsi, les défaites précoces de Federer, désormais possibles dans chaque tournoi, ne créent plus la sensation. Ses chances de parvenir une troisième fois au sommet du classement ATP, une place qu’il a occupée durant 302 semaines – plus longtemps que quiconque – sont devenues minces. De même, l’espoir de remporter un tournoi du Grand Chelem est plus maigre que jamais. Mais il existe encore, autant que faire se peut pour un joueur de 33 ans, quatre fois papa, dont la fin de carrière pointe à un lointain horizon. Comme Nadal, Federer a perdu son statut d’invincibilité et n’est plus en mesure de survoler les tournois à sa guise. Mais il peut encore s’imposer sur un tournoi du Grand Chelem, pour autant que les conditions soient à nouveau réunies. D’ailleurs, tant ses adversaires que les spécialistes le considèrent toujours comme un favori, et c’est là bien plus qu’une seule marque de respect pour l’un des plus grands sportifs de notre ère.

Combien de temps jouera-t-il encore? Le plus longtemps possible, espérons-le. Jusqu’ici, il n’a en tout cas jamais laissé transparaître une quelconque intention de prendre sa retraite. Bien au contraire: plus motivé que jamais, il semble toujours autant aimer son métier, affiche une meilleure forme physique que bon nombre d’adversaires plus jeunes et bénéficie aujourd’hui du soin qu’il a toujours voué à son corps. Grâce à son style de jeu économique et à sa technique, il présente moins de signes d’usure que certains de ses contemporains.

Les problèmes de la Coupe Davis

Mais en dépit de son bilan unique, Roger Federer n’a pas encore tout gagné. La Coupe Davis manque à son tableau de chasse. Une compétition avec laquelle il vit une relation compliquée. Souvent, il n’a pas pu insérer ce tournoi par équipes très prisé du public dans son programme annuel et les quelques bisbilles qui ont pu perturber l’harmonie régnant entre Swiss Tennis et ses meilleurs joueurs sont bien nées de la Coupe Davis. Tantôt il renonçait, tantôt il s’engageait, mais ne jouait pas bien.Aujourd’hui, l’excellent classement des deux Suisses – Roger Federer et la star montante Stanislas Wawrinka – fait de ce duo les favoris de la Coupe Davis: 22 ans après la défaite de Jakob Hlasek et Marc Rosset en finale contre les États-Unis, les chances de victoire sont plus réelles que jamais. Stanislas Wawrinka a toujours aimé la Coupe Davis, et il semblerait bien qu’avec l’âge, Roger Federer en devienne lui aussi un inconditionnel. Il ne reste plus qu’à battre l’Italie en demi-finale du 12 au 14 septembre à Genève, avant d’affronter la France ou la République tchèque. Pour Federer, la première victoire suisse en Coupe Davis pourrait peut-être marquer le dernier grand succès d’une époustouflante carrière.Le dernier grand succès, mais – espérons – pas le chant du cygne. Roger Federer pourrait certes se retirer, mais ne devrait toutefois pas le faire. La seule idée de ne plus voir jouer ce génial esthète du tennis nous attriste. Lui qui, aux quatre coins du monde, nous a fait vivre durant tant d’années des heures glorieuses ou angoissantes devant le petit écran, lui pour qui nous avons souffert et nous sommes réjouis. Roger Federer nous a donné 15 années de bonheur. On en redemande.

Guido Tognoni est juriste et journaliste indépendant. Il vit à Küssnacht

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