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  • Série littéraire

Edmond Fleg | Le rêve messianique d’une humanité heureuse

01.04.2022 – CHARLES LINSMAYER

Le Genevois Edmond Fleg a chanté la grandeur et la beauté du judaïsme pendant le siècle où celui-ci était le plus menacé. C’est dans une œuvre pour la jeunesse qu’il s’est montré le plus convaincant.

«Cette œuvre sera immortelle», déclare Charles Péguy en octobre 1913, en apportant à son auteur Edmond Fleg, dans son appartement sis Quai-aux-Fleurs 1 sur l’île de la Cité à Paris, le numéro tout juste sorti de presse des «Cahiers de la Quinzaine», qui contient la première partie du cycle de poèmes «Écoute, Israël». Ce titre fait écho à la prière fondamentale du judaïsme, composée de trois citations de Moïse: «Écoute, Israël, l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est un». Et dans cette épopée en vers de 700 pages, qu’il n’achève qu’en 1948, Edmond Fleg, né en 1874 dans la famille d’un négociant genevois, parvient à montrer à ses contemporains la beauté et la grandeur du judaïsme dans une «légende des siècles» s’étendant sur 4000 ans. Après une période où il a pris ses distances avec ses origines juives, il se met en effet à écrire, poussé par l’effroi que suscitent en lui l’antisémitisme et l’affaire Dreyfus.

Edmond Fleg, marié à Madeleine Bernheim et père de deux fils, vit à Paris. Il s’est porté volontaire lors de la Première Guerre mondiale et connaît un certain succès en tant que dramaturge. À partir de 1928, il publie des biographies personnelles et originales de grandes figures du judaïsme comme Moïse ou Salomon, mais aussi Jésus. Ce n’est cependant pas avec «Écoute, Israël» qu’il obtient son succès le plus durable, mais avec son livre pour la jeunesse «L’enfant prophète», paru en 1926, qui réconcilie par un humour charmant des milliers de jeunes juifs avec leur religion.

Ce que cela signifie d’être juif

«Pour être chrétien, il faut croire que Jésus est dans l’hostie et qu’il est Dieu. Mais que faut-il croire pour être juif?» Claude Lévy, le héros du roman, n’a pas de réponse à cette question. Empreint de sympathie, il s’adresse alors au catholicisme de son amie Mariette. «Effrayant, ce que les juifs ont fait à Jésus!» Mais il découvre ensuite la souffrance éternelle et la persécution des juifs, et une vision prophétique lui révèle, derrière l’austère culte judaïque auquel l’initie le curieux Rebbe Lobmann, le rêve messianique d’une humanité heureuse.

Un destin tragique et bouleversant

Lorsqu’en Allemagne, où il a fait ses études, un régime ouvertement antisémite s’empare du pouvoir, Edmond Fleg anticipe l’Holocauste. En 1939, ses prédictions se réalisent largement et, dans la guerre de l’Allemagne contre la France, il perd coup sur coup ses deux fils: Daniel, le plus jeune, qui se noie dans la Seine parce qu’il n’est pas mobilisé pour combattre l’Allemagne, et Maurice, l’aîné, qui tombe au combat.

«Pourquoi Dieu veut-il qu’Israël soit un peuple de prêtres? Pour que le monde change, pour que le monde tel qu’il est devienne le monde tel qu’il sera, quand par la venue du Messie la justice et la paix régneront sur la terre. Ce rêve messianique est aujourd’hui le rêve de toute l’humanité.»

(Edmond Fleg lors de la clôture du Congrès juif mondial en 1958 à Genève)

Et, comme si cela n’était pas suffisant, il perd encore, le 6 avril 1940, son unique petit-fils quand, prié par les médecins de se prononcer dans une effroyable situation d’urgence, il choisit la survie de sa belle-fille contre celle de son enfant. Edmond Fleg ne se laisse cependant pas abattre: après l’occupation de la France par l’Allemagne, il se réfugie en Provence où il continue de familiariser de jeunes juifs avec leur religion.

Quand il meurt, le 15 octobre 1963, il est considéré comme l’un des principaux artisans de la réconciliation entre les juifs et les chrétiens. Huit ans après sa mort, l’antisémitisme le rattrape tout de même. Dans son appartement du Quai-aux-Fleurs, alors que tout son héritage littéraire, avec l’ensemble des originaux et des lettres de Proust, Mauriac, Camus et d’autres, a été préparé pour être envoyé en Israël, des inconnus s’en emparent et le cachent si bien – ou le détruisent – qu’on n’en a jamais retrouvé la trace.

Charles Linsmayer est spécialiste de littérature et journaliste à Zurich.

Bibliographie: Le roman «L’enfant prophète» est disponible en français dans la Collection Blanche des Éditions Gallimard, Paris.

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Comments :

  • user
    19.08.2022 At 22:52
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  • user
    Ruth Heuberger, USA 02.08.2022 At 14:31
    Thank you for a particularly absorbing issue of the April, 2022 Swiss Revue. We also enjoyed the humorous cover cartoon, although we assume the cuckoo clock is associated with the Black Forest of Germany rather than Switzerland. But that's fairly harmless.

    The article entitled A MESSIANIC LONGING FOR HUMAN HAPPINESS, however, was not trivial, notwithstanding the journalist's choice. Apparently, the author, Edmond Fleg, writer of “The Boy Prophet” chosen by Charles Linsmayer, suffered terrible personal loss owing to WWII. For years preceding and during this war, among other perversions, unimaginable atrocities and horrors were committed by Nazis and collaborators as a result of maniacal forces, and Judeophobia. Thus, if Fleg has his “central character” unable to answer “what it means to be Jewish”, and “out of sympathy” repeats a maleficent trope of his girlfriend’s Christian faith, this feature serves to perpetuate a provocative and questionable exercise and recommendation.

    Even as the question of Why Switzerland?... more than 700 years later can be successfully demonstrated, so might the question, posed by a confused character in a rather obscure book be more than adequately answered, in its moral and ethical dimensions. It is definitely readily accessible from countless reliable sources- today, as ever.
    Ruth Heuberger
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