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  • Série littéraire

La femme que Napoléon exila

04.02.2021 – Charles Linsmayer

La Genevoise Germaine de Staël vécut sa vie d’écrivaine et d’intellectuelle de premier plan à Paris, mais dut s’exiler à plusieurs reprises en Suisse.

Lorsqu’elle demanda à Napoléon qui était, à son avis, la femme la plus importante de tous les temps, il lui répondit: «Celle qui a donné naissance au plus grand nombre d’enfants.» Germaine de Staël en fut dépitée. Pourtant, cette Genevoise née à Paris en 1766 était mère de cinq enfants, et était donc tout à fait concurrentielle sur ce plan-là aussi. Mariée depuis 1786 au baron de Staël, un Suédois, elle ne se laissa pas imposer la monogamie. Personne ne savait au juste lesquels de ses amants étaient les pères de ses enfants.

Non, le fait d’être mère n’était pas sa qualité première. Mais l’éclat de son intelligence, sa volonté inébranlable de s’affirmer en tant que femme et, enfin, sa plume affûtée, la firent connaître dans toute l’Europe et poussèrent l’autoproclamé empereur Napoléon au comble du désespoir.

Germaine de Staël avait survécu à la Révolution, à laquelle elle était favorable au début, dans son château de campagne à Coppet, près de Genève. Après la chute de Robespierre, elle était toutefois revenue à Paris en 1794 et réunissait l’élite conservatrice dans son salon. Au début, elle se lia d’amitié avec Napoléon, puis se brouilla avec lui lorsqu’elle exprima son désaccord sur l’ingérence de la France dans l’instauration de la République helvétique.

L’Italie et l’Allemagne, deux thèmes chers à son cœur

Ses succès littéraires s’appuyaient sur les voyages, dont elle ne se privait pas malgré l’époque troublée. «Corinne ou l’Italie» (1807) mêle, dans un débordement de romantisme, la culture et l’histoire italiennes et l’histoire d’amour de l’héroïne avec un lord anglais. «De l’Allemagne», le livre qui consacra l’Allemagne comme le «pays des poètes et des penseurs», revient sur un voyage qu’elle fit en 1803–1804 à Berlin et Weimar, et qui l’entraîna dans la sphère d’influence de Goethe et de Schiller. En 1810, la police de Napoléon empêcha la publication de l’œuvre: le manuscrit et les estampes furent détruits et l’écrivaine, forcée à s’exiler à Coppet. Quand, là aussi, elle sentit la menace approcher, elle s’enfuit en Angleterre en 1812, où «De l’Allemagne» parut l’année suivante.

La conscience libérale de l’Europe

L’ire de Napoléon était compréhensible, car l’hommage de Germaine de Staël à l’Allemagne poétique était en réalité une protestation déguisée contre la répression culturelle qui sévissait en France, et montrait mieux que nul autre texte à quelle éloquente opposante avait désormais affaire Bonaparte. Face à ce puissant despote, l’écrivaine incarnait depuis longtemps quelque chose comme la conscience libérale de l’Europe. Ses autres ouvrages irritèrent aussi Napoléon, qui rédigea par exemple sous couvert d’anonymat une critique au vitriol de «Delphine». Quant à «Corinne», le roman lui était déjà resté en travers de la gorge par le seul fait que, bien qu’écrit pendant l’année de son couronnement comme roi d’Italie, il ne mentionnait pas une seule fois le conquérant qu’il était.

«Pas sans quelque intérêt»

Le 14 juillet 1817, quand Germaine de Staël, à l’âge de 51 ans, fut arrachée à une vie pleine de mouvements, de passions et de sensualité, elle avait depuis longtemps réouvert son salon parisien, qui avait retrouvé tout son lustre, tandis que Napoléon était exilé pour toujours à Sainte-Hélène. Là, il avoua à son confident, le comte de Las Cases, en août 1816, qu’après l’avoir relue, il était obsédé par sa rivale et sa «Corinne»: «Je la vois, je l’entends, je la sens, je veux la fuir, et je jette le livre. Il me restait de cet ouvrage un meilleur souvenir que ce que j’éprouve aujourd’hui. Toutefois je persisterai, j’en veux voir la fin; il me semble toujours qu’il n’était pas sans quelque intérêt.»

Charles Linsmayer est spécialiste en littérature et journaliste à Zurich

«Mais la société, la société! comme elle rend le cœur dur et l’esprit frivole! comme elle fait vivre pour ce que l’on dira de vous! Si les hommes se rencontraient un jour, dégagés chacun de l’influence de tous, quel air pur entrerait dans l’âme! que d'idées nouvelles, que de sentiments vrais la rafraîchiraient!» 

Extrait de: Germaine de Staël, «Corinne ou l’Italie», 1807

Bibliographie: «De l’Allemagne» est disponible en poche chez Flammarion.
 

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