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  • Politique

Pierre Maudet, politicien suisse condamné mais réélu

11.08.2023 – Stéphane Herzog

Il a menti à plusieurs reprises, accepté un voyage royal et a été condamné pénalement. Pierre Maudet a pourtant été réélu au gouvernement cantonal genevois. Cette réélection fait jaser, notamment en Suisse alémanique. Les politologues estiment que ce tour de force est lié à son charisme.

«C’est pour lui un triomphe», commente Nenad Stojanovic, politologue à l’Université de Genève. Cette élection est arrivée après une longue traversée du désert durant laquelle Pierre Maudet aura subi une déroute: exclusion de son parti, démembrement du département qu’il conduisait au Conseil d’État, condamnation pénale pour acceptation d’un avantage, rejet de la part des médias suisses.

À l’origine de ce scandale, on trouve donc un voyage à Abu Dhabi effectué en 2015 aux frais d’un sultan. Le tout pour une valeur estimée à plus de 50’000 francs, somme que Pierre Maudet devra restituer au canton de Genève en vertu de la peine fixée par la Chambre pénale d’appel et de révision (CPAR) de Genève le 26 mai 2023. Celle-ci a aussi condamné le conseiller d’État fraîchement réélu à 120’000 francs d’amende avec sursis. Pierre Maudet «a accepté un avantage indu, en s’accommodant du risque qu’il lui eut été octroyé dans le but d’influencer son activité de conseiller d’État», estime la CPAR.

Politiquement c’était grave et dans un cas pareil, 99% des élus auraient démissionné.
Nenad Stojanovic politologue

Démarrée en mai 2018 avec les révélations de «La Tribune de Genève», l’affaire Maudet a connu un retentissement national. D’autant qu’elle est tombée après l’élection du Conseil fédéral de 2017, où le Genevois avait frôlé l’exploit. «Politiquement c’était grave et dans un cas pareil, 99% des élus auraient démissionné», estime Nenad Stojanovic.

Surprise, colère, admiration

L’annonce de sa réélection – qui plus avec l’élection au Grand Conseil de onze députés du mouvement Liberté et justice sociale, fondé par ses soins – a provoqué un mélange de surprise, de colère et d’admiration. «C’est extraordinaire qu’il ait été réélu», commente Lukas Golder, politologue et spécialiste des médias, qui codirige l’institut de recherche gfs.bern. À Berne, les élus nationaux n’ont pas poussé de grands cris face à ce retour de Maudet, en se bornant plus ou moins à relever le droit des électeurs à choisir leurs élus.

Retour au sommet après la chute: Pierre Maudet est acclamé par ses partisans après sa réélection au Conseil d’État de Genève le 2 avril de cette année. Photo Keystone

En revanche, la NZZ n’a pas hésité à comparer Pierre Maudet à Donald Trump, taxant l’affaire de pure «Genfereï», terme qui décrit des affaires alambiquées jugées typiques de ce canton.

En fait, les politologues suisses mettent d’abord en avant le profil extraordinaire de Pierre Maudet pour expliquer sa réélection. Intelligence, résilience, sens de la communication. «Les électeurs seraient aussi prêts à excuser un tel profil dans un autre canton, s’il existait», estime Lukas Golder, qui rappelle qu’une élection au système majoritaire permet à des personnalités de ce type de ratisser large. «En Suisse romande, on a aussi cette image, mais cette histoire de Genfereï est un mythe», réagit Nenad Stojanovic, qui rappelle que des affaires ont aussi lieu en Suisse alémanique et au Tessin.

Son collègue de l’Université de Genève Pascal Sciarini souligne que les Alémaniques ont eux-mêmes été séduits par Maudet à l’occasion de l’élection du Conseil fédéral de 2017. «Il a fait une excellente campagne et il n’est pas passé loin de l’élection. Donc pas sûr que dans un autre canton urbain, pareil scénario n’aurait pas pu avoir lieu».

Le plus grand scandale politique depuis Kopp

«L’affaire Maudet est la plus grande crise politique suisse depuis la démission d’Elisabeth Kopp en 1989», a écrit le correspondant romand du Tages Anzeiger, Philippe Reichen. «Kopp a menti dans l’urgence et n’a pas été condamnée, au contraire de Maudet, qui a menti sur le long terme», précise le codirecteur du GfS Berne. La politique suisse serait-elle sexiste? «Après sa démission, Elisabeth Kopp n’a pas tenté de rebondir, commente Lukas Golder. En revanche, on trouve plusieurs cas d’hommes politiques suisses ayant fauté et qui ont eu droit à leur seconde chance, là où les femmes ont tendance à abandonner.» Le politologue cite notamment le cas de Geri Müller, ancien maire de la ville Baden (AG) et conseiller national Vert, secoué en 2014 par une affaire de selfies de lui nu. L’homme renoncera à se représenter au Conseil national et sera exclu trois ans plus tard de la présidence de sa ville. Il y a eu faute morale, mais pas pénale. Autre cas, celui du conseiller aux États soleurois Roberto Zanetti, pris en 2004 dans une affaire de dons – qu’il remboursera – , en lien avec sa campagne électorale. Non réélu en 2005, il se tient à l’écart de la vie politique et sera élu au Conseil des États en 2010. Là encore, nulle trace de condamnation.

Quand le peuple décide de placer au pouvoir quelqu’un qui a été condamné pour corruption, qui a menti à toutes les institutions (…), quelle valeur donne-t-on à l’éthique en politique?
Antonio Hodgers Conseiller d’État

Pierre Maudet, lui, a bien démissionné du Conseil d’Etat, mais pour mieux se représenter. Entre les deux tours de l’élection genevoise, le conseiller d’État Vert Antonio Hodgers s’en est indigné. «Quand le peuple décide de placer au pouvoir quelqu’un qui a été condamné pour corruption, qui a menti à toutes les institutions (…), quelle valeur donne-t-on à l’éthique en politique?», a-t-il demandé. Mais en démocratie ce sont les électeurs qui décident. «Les gens ont voulu oublier la faute et retenir le bon», résume Pascal Sciarini.

Les citoyens votent d’abord pour un humain

Lukas Golder rappelle que «les médias sont très prompts à porter un jugement moral, alors que les électeurs et les électrices regardent plutôt l’humain, avec l’espoir qu’il se rachète». Durant sa dernière campagne, Pierre Maudet a développé des éléments de langage et des attitudes montrant sa préoccupation pour les gens. «Je l’ai rencontré une fois», raconte Nenad Stojanovic, qui le trouve alors capable d’empathie et sans arrogance. Le politologue pointe aussi l’existence de véritables fans de ce politicien, «un fait rare dans la politique suisse». Il faut rappeler que dans sa gestion des fonctionnaires, Maudet a pu montrer un visage brutal. Autre ombre à ce tableau ? Pierre Maudet «n’a toujours pas pris conscience, ne serait-ce que partiellement, du caractère pénal de ses actes, plaidant l’incertitude juridique pour échapper à toute sanction», a déclaré la CPAR.

Désormais, Pierre Maudet «n’a pas d’autre choix que de collaborer efficacement avec ses collègues du Conseil d’État. Et peut-être que dans cinq ans, il aura récupéré toute sa légitimité», calcule Lukas Golder.

Commentaires

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Commentaires :

  • user
    Ronald Fries, Venezuela 13.08.2023 à 18:13

    La Suisse sera comme tous les pays du monde: communiste, envahie et musulmane à n'en plus pouvoir! Continuez vous êtes sur le bon chemin !

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